La cuisine moléculaire connaît un vif succès auprès des grands chefs comme auprès le grand public. Les cours de cette cuisine très créative affichent complets. L’inventeur de la cuisine moléculaire Hervé This, dans les années 90, a mis au point la gastronomie moléculaire qui se ré-approprie les techniques traditionnelles, associées à des ustensiles tels que le siphon, la pipette, ou la seringue, alliées à des agents de texture utilisés dans l’industrie agro-alimentaire. Le premier chef à jouer au petit chimiste fut l’espagnol Ferran Adrian qui connut un succès phénoménal avec son restaurant « El bulli ».
La cuisine moléculaire est une évolution permettant la découverte de nouveaux goûts et de nouvelles textures. Toutefois, il faut respecter une certaine dose d’additifs alimentaires (agar agar, gélifiant naturel, lécithine de soja…) et ne pas les faire consommer aux enfants de moins de 6 ans. Si vous n’avez pas les moyens de vous payer des cours de cuisine, je vous conseille le Petit précis de cuisine moléculaire, qui propose des recettes ludiques pour débutants ou experts. Alors, prêts à faire des découvertes gustatives ou toujours fidèles aux produits du terroir ?
La cuisine moléculaire réinvente les techniques et les préparations traditionnelles en utilisant des ustensiles tels que le siphon, la Seringue ou la pipette alliés à des agents de texture comme le carraghénane ou l’agar-agar (un gélifiant naturel).
Au final, cet art culinaire innovant permet d’explorer de nouveaux goûts et de nouvelles textures. Perles de jus de fruits ou de Thé vert, glace sans Sorbetière à l’azote liquide, chantilly de Chocolat ou émulsion de foie gras sont quelques exemples de cette cuisine créative.
Voici maintenant plusieurs années que le terme de gastronomie moléculaire est entré dans le vocabulaire courant. Mais sait-on réellement ce que cache cette expression étrange, réunion apparemment contradictoire de deux univers éloignés ? L’« art » culinaire peut-il se traduire en équations ? Le laboratoire du chimiste est-il l’avenir du cuisinier ? Quelles seront les conséquences dans notre quotidien ?
Laboratoire d’Edison
Stacina - Flickr
Essayons d’y voir plus clair ....
Tout d’ abord il faut savoir que depuis fort longtemps les scientifiques se sont intéressés aux phénomènes culinaires, ainsi Antoine Parmentier, ou Justus Von Liebig pour n’en citer que deux fameux.
1 L’offensive de la nouvelle cuisine
La cuisine traditionnelle telle qu’on l’entendait depuis des générations avait déjà subi la révolution initiée par de grands chefs cuisiniers comme Michel Guérard, ainsi que les critiques Gault et Millau. Nous étions en 1972 et on avait appelé cela la Nouvelle Cuisine (pour bien signifier qu’il en existait une ancienne ?). Elle préconisait un retour vers la simplicité (en opposition avec la cuisine trop sophistiquée en vogue alors), un allègement général des plats et de leurs garnitures et un respect des saveurs originelles à travers des modes de cuissons plus simples tels que la vapeur ou le bain-marie. Malgré des critiques parfois justifiées, certains de ses détracteurs se moquant des portions minuscules sur des assiettes disproportionnées, il est indéniable que nombre des acquis de la nouvelle cuisine ont été intégrés dans la cuisine actuelle et qu’elle a préparé le terrain pour des évolutions encore plus radicales.
Pour en savoir plus : la nouvelle cuisine
Michel Guérard, par Paul Lacoste, La Huit Production, 2003
Michel Guérard, est un des fondateurs de la nouvelle cuisine française. Il a inventé une nouvelle façon de cuisiner, plus libre et plus proche des produits.
2 La révolution moléculaire
C’est à la fin des années 80 qu’un physicien, Nicholas Kurti et qu’un chimiste, Hervé This ont développé la notion de gastronomie moléculaire, clin d’ œil à la biologie moléculaire. De quoi s’agit-il ? : tout simplement de l’étude des phénomènes physiques mis en œuvre lors de la préparation de plats cuisinés. Selon Hervé This, la gastronomie moléculaire a plusieurs objets :
- Le recensement et l’exploration scientifique des dictons culinaires : faut-il nécessairement un récipient en cuivre pour élaborer une bonne confiture ? Une petite cuiller sur le goulot permet-elle de conserver le gaz d’une bouteille de champagne ?
- La modélisation des pratiques culinaires en vue de perfectionnements
- L’introduction d’outils, méthodes et ingrédients nouveaux en cuisine domestique ou de restaurants : le fouet est-il vraiment adapté pour battre les œufs en neige ?
- L’invention de mets nouveaux.
Comprendre comment les œufs montent en neige, comment fonctionne une émulsion, quelles molécules se dissolvent dans quels fluides, permettre de perfectionner toutes les méthodes de cuisine. C’est l’explication rationnelle de la cuisine qui nous permet de ne jamais rater des mousses au chocolat et des mayonnaises, de cuire des faux-filet parfaitement grillés, et de faire des sauces vinaigrette aux multiples saveurs.... Tout cela conduit inévitablement à une révision des pratiques culinaires : qui dit nouvelles méthodes et nouveaux instruments dit aussi nouveaux produits... Un exemple concret nous est fourni avec la sorbetière : Hervé This montre qu’on peut se passer de cet instrument, destiné à empêcher la formation de cristaux de glace, en refroidissant très vite la préparation, et cela en y versant de l’azote liquide. Ainsi le chocolat-chantilly fut une de ses créations emblématiques, par croisement d’une recette analysée et maîtrisée avec de nouveaux produits.
Un des enjeux de la gastronomie moléculaire, et non des moindres, consiste en la transmission des connaissances aux jeunes générations afin de leur donner les moyens de choisir librement leur alimentation et de mieux apprécier les efforts des filières professionnelles . C’est à ces fins qu’ont été créés les ateliers du goût.
Construisons un repas, par Hervé This, Odile Jacob,2007
En compagnie de Marie-Odile Monchicourt, journaliste scientifique, Hervé This nous fait découvrir que les gestes culinaires les plus anodins méritent une attention qui les rend passionnants.
3 les molécules s‘invitent au restaurant
Certains grands cuisiniers s’inspirent des travaux de la gastronomie moléculaire, parmi eux Pierre Gagnaire, Marc Veyrat ou Thierry Marx pour les français ou encore le britanique Heston Blumenthal.
Mais le plus emblématique de tous ces chefs, parfois surnommé « le catalan fou », est bien entendu Ferran Adria dont le restaurant El Bulli s’affirme comme l’exemple à suivre pour tous les cuisiniers désireux de participer au 21 ème siècle culinaire. Ici le bien-manger s’efface devant l’étonnement sensitif dans un parcours étudié pour simuler tous les sens des convives assiette après assiette, en passant de la boule de thé glacé à l’hydrogène à un sorbet à la sardine, et ce pendant au minimum 3 heures .
Mais c’est en sortant des grands restaurants un peu « élitistes », il faut bien le reconnaitre, pour envahir le grand public que la cuisine moléculaire a gagné sa légitimité. A l’instar de la nouvelle cuisine qui a favorisé l’essor des plats cuisinés, on assiste désormais à des déclinaisons commerciales plus ou moins accessibles à la ménagère moderne (ou son conjoint). Ainsi les espumas, ou l’essor de l’agar-agar, algue donnant un gélifiant fort prisé. Un exemple de recettes sur ce site ou encore ici :des recettes et des conseils.
La science fait progresser la gastronomie, et bien loin de lui enlever son charme, elle lui ouvre de nouveaux horizons libres à l’imagination : avec un groupe INRA (Institut National de la Recherche Agronomique) de gastronomie moléculaire, réparti entre le Laboratoire de chimie des interactions moléculaires du Collège de France et le Laboratoire de chimie de l’Institut National Agronomique Paris - Grignon, Hervé This a également créé des cours de gastronomie moléculaire publics et gratuits. L’enseignement de cette science se développe aussi dans différentes universités et des ateliers expérimentaux du goût sont organisés dans les lycées hôteliers. Au Futuroscope de Poitiers, la gastronomie moléculaire est au menu d’un restaurant et un kit de cuisine moléculaire est en vente pour préparer chez soi des plats très originaux.
5 les limites d’une révolution
Selon le critique Edmond Neirinck, se profile le risque de ce qu’il appelle une dérive gastronomique, c’est à dire le moment où l’expérience gustative prendrait le pas sur l’acte alimentaire, manger cesserait alors d’être la raison même du repas au profit des sensations lors de la mise en bouche. Or les aliments ne se réduisent pas à leurs dimensions gustatives, ils sont aussi destinés à être incorporés physiquement et symboliquement. Ils sont porteurs de sens : le repas est une réunion de personnes ayant plus à partager que des découvertes gustatives. Cette dimension anthropologique ne doit pas être oubliée sous peine de transformer le fait de se nourrir en une simple obligation.
Et puis, en guise de conclusion, on est en droit de se demander quelles seront les conséquences sur la santé d’ une consommation excessive de produits "moléculaires", azotés ou autres . A l’ heure où l’ alimentation saine demeure une des principales préoccupations de la population ( impact des OGM, essort du bio ..), la question semble légitime. La cuisine moléculaire et ses produits dérivés doit encore faire ses preuves en ce domaine ...
(De Madrid) Rien ne va plus au royaume de la neige de parmesan et de l’omelette déconstruite. Les toques espagnoles les plus prestigieuses se sont lancées dans une féroce guerre des modernes et des anciens version fourneaux utltra-perfectionnés et produits du terroir. Décoré de six étoiles Michelin, le chef Santi Santamaria accuse Ferran Adria, une référence mondiale de la gastronomie, de faire entrer des additifs dignes de la pire malbouffe dans les assiettes de ses très selects convives.
" Comment pourrons-nous légitimer l’alimentation naturelle et le régime méditerranéen si nous utilisons les mêmes additifs que les chaînes de fast-food ? " , s’est interrogé Santamaria lundi lors de la présentation à la presse de son nouveau livre. Provocateur, il propose que les restaurants publient la liste de leurs ingrédients, comme est obligée de le faire l’industrie alimentaire. La semaine dernière, il avait attaqué ceux parmi ses collègues qui " remplissent leurs assiettes de gélifiants et d’émulsifiants de laboratoires" et mettent en danger la " santé publique" , avant de s’en prendre directement au maître de la cuisine d’avant-garde, Ferran Adria, avec qui il assure être en " divorce conceptuel et éthique."
" Il sert la cause des organisations qui défendent l’introduction de ces additifs dans la cuisine. Il est leur porte-drapeau et celui qui légitime ces produits" , a-t-il ajouté lundi.
Le tumulte est sans précédent dans un monde qui opte d’habitude pour la solidarité et la cible de ses critiques n’est pas des moindres. L’établissement catalan aux trois étoiles Michelin de Ferran Adria, El Bulli, a été élu meilleur restaurant du monde trois années de suite par la publication britannique Restaurant Magazine. Le chef a non seulement rompu des barrières culinaires avec ses olives sphériques et huîtres à l’air de carottes, il a également donné vie à l’expression " artiste de la cuisine" en devenant le premier cuisinier jamais invité à participer à une exposition mondiale d’art contemporain l’année dernière à la Documenta de Kassel, en Allemagne. Dans une interview au International Herald Tribune cette semaine, Adria s’est déclaré " vraiment blessé par tout ça."
" Ce que Santi a dit à propos de nos ingrédients est complètement faux et il est extrêmement sérieux de mentir sur quelque chose d’aussi important."
Tous les plus grands représentants espagnols de la cuisine d’avant-garde, également baptisée de manière quelque peu cryptique " techno émotionnelle" ou " gastronomie moléculaire" , se sont unis en défense du maître. Le collectif espagnol de l’association de cuisiniers Euro-Toques, qui compte 800 membres, s’est ainsi élevé contre le " faux témoignage" de Santamaria qui met en péril le " prestige que l’Espagne a gagné au niveau mondial."
" Nier l’évolution et gâcher les avancées que la cuisine et les cuisiniers espagnols ont obtenu parce que ce sont d’autres noms qui figurent dans les gros titres est le comble de l’égocentrisme. Et nous ne sommes pas disposés à admettre cette injustice."
Santi Santamaria met en cause l’usage de substances artificielles dans les créations des autres grands chefs, telle que la metilcellulose, un gélifiant d’origine végétal. Du côté du ministère de la Santé espagnol, on rappelait cette semaine que tous les produits utilisés dans la restauration espagnole sont autorisés et répondent aux normes européennes.
Ferran Adrià ferme "El Bulli" pour deux ans au moins!
ferran-adria.jpgC'est un coup dur pour les tenants de la cuisine moléculaire! Le chef de file du mouvement, Ferran Adrià, le magicien catalan des additifs alimentaires, vient en effet d'annoncer qu'il n'ouvrirait pas son restaurant en 2012 et 2013. "El Bulli" restera donc fermé durant deux ans au moins! Le chef, souvent présenté comme le meilleur cuisinier du monde, perdra donc ses trois étoiles mais annonce des nouvelles recettes pour 2014, continuant à utiliser son restaurant comme laboratoire.
Adrià explique se retirer simplement pour se ressourcer et réorganiser son resto. Mais difficile de ne pas voir là une réaction à la polémique grandissante autour de la cuisine moléculaire, qui n'a fait qu'enfler depuis la parution du pamphlet de l'Allemand Jörg Zipprick: "Les dessous peu appétissants de la cuisine moléculaire".
Comme nous l'écrivions il y a quelques semaines, il semble donc bien que l'année 2009 aura été celle de la chute de la gastronomie moléculaire. Que son plus grand représentant choisisse de se mettre de côté, attaqué de toutes parts depuis deux ans, n'en apporte qu'une preuve supplémentaire. La plus médiatique sans doute!